Ouvertures/Fermetures
2015
Fusain sur papier
Le projet en deux mots
Ouvertures/Fermetures est le titre donné à une série de compositions abstraites réalisées au fusain. L’ensemble comporte une vingtaine de pièces sur papier et carton. Le projet a été conçu et réalisé durant l’été 2015.
Les appels de notes entre parenthèses renvoient aux notes de bas de page.
Du carnet à la toile : problèmes techniques
Ouvertures/Fermetures a été conçu en grande partie en août 2015 alors que je travaillais depuis plusieurs mois à résoudre la difficulté technique suivante : comment transcrire sur de la toile et en utilisant de la peinture acrylique des motifs que j’exécute habituellement dans un carnet, au stylo-bille ou au feutre, en conservant une finesse de pointe que seuls le stylo-bille ou le feutre offrent ? L’une des solutions que j’ai trouvées a été d’utiliser le fusain pour ses propriétés tactiles : le fusain permet en effet d’agir à loisir sur les ombres et de créer des effets de transparence qui, par les contrastes que ceux-ci produisent, laissent d’autant mieux apparaître le tracé des boucles et des lignes que j’avais à l’esprit.
Ci-dessus : quelques pages du carnet avec lequel j’ai travaillé sur ce projet.
Concepts ou affects ?
Le projet a été pensé autour de l’ambition suivante : tenter d’exprimer sur du lin, du papier ou du carton, non des idées ou des concepts, mais des ressentis qui correspondent à des expériences vécues de contenance, d’étayage, d’enveloppement, de débordement et de dispersion. En dehors des disciplines scientifiques qui se sont constituées précisément à partir de l’hypothèse de leur existence (1) ou en dehors d’une littérature qui a tenté d’en saisir certains mouvements (2), ces processus psychiques font rarement l’objet de descriptions et d’analyses. Mon travail consiste à tenter de leur donner corps (et âme ?) en m’efforçant de me tenir au plus près d’eux.
De la marge vers le centre
Dans la mesure où les compositions ne donnent à voir aucune référence à un quelconque sujet (ni être humain, ni animal, ni nature, ni chose), les caractéristiques visuelles de chaque composition deviennent le sujet lui-même dans un espace « trichromique » (noir, gris, blanc) qui confère au blanc des propriétés spatiales habituellement déléguées au lieu d’exposition, les murs blancs jouant dans ce contexte un rôle absolument prépondérant. Le blanc renforce en effet la sensation de cadre, de bord ou de limite et se présente à la fois comme un dehors qui renvoie paradoxalement vers le centre de l’œuvre, comme la marge d’un livre (3) recentre le lecteur vers le texte courant.
Ouvertures/Fermetures, sans titre, 2015, 30 x 40 cm.
Chaque composition est donc abstraite. En toute rigueur, aucune ne représente en effet de forme connue. Cependant, aucune d’entre elles ne renvoie seulement à elle-même. Chacune s’efforce au contraire de capter des mouvements qui peuvent se produire, quand ils sont observables, dans l’entre-deux du corps et du psychisme.
Ouvertures/Fermetures (Openings/Closings), 2015, 3 minutes.
Entre symbole et interface
Le projet doit en effet son titre à l’idée selon laquelle le psychisme humain connaîtrait périodiquement des mouvements d’ouverture et de fermeture dont dépendraient à la fois sa réceptivité aux autres, aux événements, au monde ou son repli sur soi, son isolement ou ses clivages. Toutefois, il ne s’agit pas seulement, à travers ce projet artistique, de chercher à opérer la symbolisation de processus psychiques et de mécanismes de défense dont la psychanalyse nous a permis de comprendre un peu mieux les ressorts inconscients. Le projet s’articule davantage autour de l’idée qu’une pratique artistique peut être aussi envisagée comme une tentative pour se constituer comme une interface visible du corps et du psychisme.
Ouvertures/Fermetures, sans titre, 2015, 50 x 75 cm.
Maillages et mouvements psychiques
Chaque composition a été conçue comme un ensemble de variantes exécutées à partir d’une trame dont la répétition obsédante constitue l’élément principal. Bordée de blanc, chaque trame se compose d’un maillage de boucles entrelacées et du tracé d’une ligne courbe, ligne située le plus souvent à cheval sur la trame ou autour de celle-ci.
Le tracé qui entoure, chevauche ou traverse les maillages exerce ainsi une fonction spécifique. Il n’agit pas seulement comme un vecteur de contrastes. La ligne courbe qu’il dessine tente de symboliser un mouvement simultané de contenance et d’inclusion de la multitude de boucles qui composent la trame.
L’impression d’être débordé par des affects et de ne pas pouvoir enclore ou contenir complètement ceux-ci sans les exclure de soi peut ainsi dominer les compositions. Certaines questions auxquelles ce travail tente de donner un écho sans pouvoir y répondre, ses moyens n’étant pas ceux du discours rationnel, pourraient être en ce sens les suivantes : comment contenir sans comprimer ? Comment border sans empiéter ? Comment accueillir sans être débordé ?
Ouvertures/Fermetures, Prototypes sur cartons de récupération.
Incidences du métier et pratiques artistiques
Ce projet est ainsi étroitement lié au métier que j’exerce. En tant qu’enseignant, il me faut en effet souvent faire face, dans l’espace de la classe, à des mouvements de déliaison inhérents à la situation didactique. Aussi me faut-il pouvoir travailler sur moi-même pour être en capacité à la fois d’accueillir, d’accompagner et de contenir des processus humains complexes (4).
Ce projet s’inscrit dans le prolongement d’une formation clinique d’orientation psychanalytique en sciences de l’éducation débutée il y a de nombreuses années et poursuivie, d’un côté, à travers l’animation d’ateliers de philosophie et d’histoires de vies et, de l’autre côté, à travers l’écriture d'une thèse de doctorat consacrée à l’enseignement de la philosophie.
Ouvertures/Fermetures prolonge aussi un parcours de formation en arts débuté au cours d’une première vie professionnelle dans la radio dont je relate l’histoire dans cette section du site.
Notes
(1) Psychologie, psychanalyse, psychiatrie, pour l’essentiel.
(2) Je pense ici, en France, aux travaux d’Henri Michaux et à l’œuvre de Nathalie Sarraute. J’en oublie certainement.
(3) ... d’un livre et d’une page web ?
(4) Je m’exprime là à demi-mot.