Chronique zettelkastienne

 

Je débute ce mois-ci une chronique régulière consacrée aux Zettelkästen — « fichiers » ou « boîtes à idées », en allemand —, mot passé dans l'usage depuis qu'un écrivain, Sönke Ahrens, en a revisité le concept, non sans s'autoriser toutefois certaines libertés à l'égard de la méthode, si l'on en croit le YouTubeur Scott P. Scheper.

À l'origine, en effet, les Zettelkästen sont une méthode de prise de notes mise au point par le sociologue allemand Niklas Luhmann. Pour l'essentiel, la méthode consiste à prendre principalement des notes de lecture dans la perspective de transformer celles-ci en un écrit, qu'il s'agisse d'une thèse, d'un article ou d'un livre.

Si l'on suit la version quelque peu modifiée qu'en a proposée Sönke Ahrens dans son ouvrage How to take smart notes, l'intérêt de la méthode résiderait dans la facilité apparente avec laquelle des notes de toutes sortes — idées, associations, pensées, raisonnements, etc. — des notes dites flottantes, c'est-à-dire prises à la volée, par exemple au cours d'une lecture, pourraient être transformées en paragraphes, puis en sections ou en chapitres.

En fait, dans la méthode que Niklas Luhmann mettait en œuvre, le processus de création des notes, simple et ludique en apparence, semblait bien plus complexe et laborieux qu'il n'y paraît lorsqu'on prend connaissance de cet ouvrage néanmoins suggestif.

Une note flottante est un morceau d'idée qui attend sa transformation en note permanente. Cette dernière, la note dite permanente, consiste en une proposition, c'est-à-dire une thèse, une idée, un raisonnement dont la formulation ne peut pas excéder un certain volume. La note doit respecter un principe d'atomicité — une note, une idée — et c'est la mise en œuvre de ce principe qui doit permettre la transformation des notes en paragraphes.

La note flottante n'est donc pas destinée à demeurer indéfiniment dans cet état : c'est une ébauche, une esquisse, une pensée dont l'intérêt est en latence. Elle doit être convertie en idée. Il faut donc la transformer par l'écriture, la réélaborer en lui apportant la précision qui lui faisait initialement défaut. Or, cette conversion des notes flottantes requiert la mise en œuvre d'une temporalité assez lente. La digestion est sans doute la métaphore la plus appropriée pour décrire cette dernière et ses effets de métabolisation : l'écriture prend du temps, surtout quand il s'agit d'exprimer simplement des pensées complexes.

Consultables sur YouTube, les quelques documents d'époque dont nous disposons aujourd'hui pour prendre connaissance de Niklas Luhmann permettent de se faire une idée attrayante du travail que ce dernier effectuait sur ses notes : sur l'une de ces vidéos, on le voit ainsi, dans son bureau, consulter son fichier-papier de notes permanentes, en sortir une fiche cartonnée, puis écrire quelques mots à la suite de celle-ci, sourire aux lèvres, un stylo et une machine à écrire en guise d'uniques outils de production.

Si certains promoteurs de cette méthode, à l'image de Scott P. Scheper, proposent de recourir au tout-papier pour mettre en œuvre un dispositif de Zettelkästen, je préfère, pour ma part, ainsi que je m’en explique ici, exploiter les ressources de certains outils informatiques. Pour cette chronique zettelkastienne, ce sera Obsidian, un logiciel qui propose un environnement numérique de travail optimisé pour cette méthode.

 
 

Ci-dessus, de gauche à droite : l’interface d’Obsidian, ses métadonnées, son moteur de recherche interne et son graphe.

 
zettelcastDominique Renauld