Ars sive natura

 

Que manque-t-il à cette suite d’acrylique et fusain sur médium ? Que lui manque-t-il pour qu’elle puisse être appréhendée comme la suite chronologique qu’elle paraît suggérer ?

D’une pièce à l’autre, tout semble se passer comme si certains maillons manquaient à l’appel, comme s’il fallait interpoler des pièces complémentaires pour que la dramatisation latente puisse surgir visuellement, prendre visibilité et produire ses effets dans toute leur amplitude. Embarras, désarroi, détresse ? Stupéfaction, sidération, inquiétude, horreur ?

Dans cette suite au titre latin — Ars sive natura, l’art ou la nature, allusion voilée à la troisième Critique de Kant —, des effets de suggestion ou, pour mieux dire, des éléments absents, des pièces manquantes, des parties in absentia, occupent ainsi le devant d’une scène diffractée : un homme âgé, témoin perplexe d’une intrigue aux allures de métamorphose.

Que se passe-t-il ici ? Que s’est-il donc produit pour que cette suite se dissémine de cette manière ?

Dans une narration, la mémoire recompose des souvenirs à partir d’éléments que l’imagination transforme à proportion de ce qu’elle peut : de quelle matière dispose-t-elle pour rassembler ses ressouvenirs sinon ce qui revient, ici, une pièce, là, un morceau ? L’unité manque. La parole qui raconte interpole des fragments ad hoc. Incomplétude.

En peinture, qu’en est-il ? 

Imaginer consiste aussi à rendre à nouveau présent sous une forme sensible, à re-présenter du déjà-vu à la pensée imageante : une image, des couleurs, des formes juxtaposées ou combinées; un motif se dessine, une vision se forme : un arbre, des fleurs, un homme, une femme, un paysage, etc.

Dans cette suite de tableaux fictifs, le drame se joue in absentia. Il faut donc en chercher le mobile là où aucune vision ne saurait se former. Là où ?

Peut-être est-ce ici qu’une théorie des pulsions apporte un contrepoint indispensable à une plus juste appréciation de l’art contemporain.

Quoi qu’il en soit, ces analyses sont à l’image de ce que je m’efforce de mettre au travail dans une pratique en arts plastiques soucieuse de contribuer à rendre visible — à sensibiliser — cet entre-deux d’une création : cette pièce, là, ce panneau peint, expriment-ils quelque chose de ton rapport à eux ? Cet assemblage de carton, peux-tu y percevoir en creux ce que, finalement, tu y as déposé ?