Journal de thèse
J’écoutais avant-hier, sur le chemin de mon travail, une émission de France-Culture consacrée à l’auteur britannique Agatha Christie. Parmi les sujets abordés, une analyse des procédés d’écriture de l’écrivain retint tout particulièrement mon attention. Comment Agatha Christie s’y prenait-elle pour construire ses romans ? Écrivait-elle d’un bloc une trame qui s’imposait à elle ? Procédait-elle par tâtonnements, progressant pas à pas, sur de longs mois ou de longues années d’écriture ?
En entendant aborder cette question, je me souvins du journal qu’avait écrit Marguerite Yourcenar tout au long de l’élaboration des Mémoires d’Hadrien et je m’interrogeais : de quelle mémoire un roman est-il le vestige ? Quels souvenirs d’écriture un écrivain conserve-t-il des années passées à bâtir patiemment un univers ? Et quelle place, finalement, ces souvenirs occupent-ils dans son rapport à l’œuvre écrite ?
Ce n’est pas la première fois que je touche du doigt la question des archives et du rôle que jouent ces dernières dans un processus d’écriture. Lors de la rédaction de ma thèse de doctorat, une question assez similaire à celle-ci avait surgi, à un moment où il me fallut me souvenir des chemins que j’avais empruntés pour soutenir certaines de mes hypothèses interprétatives. Quelle mémoire matérielle avais-je conservée de ceux-là ? Avais-je déposé quelque part, autre part qu’en un lieu de ma mémoire, ces documents d’archives dont le souvenir émergeait à présent comme une nécessité de l’écriture scientifique elle-même ?
Je ressaisirai aujourd’hui cette question de l’archive dans les termes suivants : lorsqu’un écrivain livre avec son récit le journal d’écriture de celui-ci, à quelle sorte d’écrit avons-nous ainsi accès ? Que savons-nous de plus que ne peut dire l’œuvre seule ? Que pouvons-nous comprendre de l’essence d’un récit qui ne serait pas déjà écrit dans des variantes, des esquisses, des ratures, etc. ?
Lorsque, cherchant à me souvenir des mobiles qui auraient pu infléchir en partie mes choix interprétatifs lors de l’élaboration de ma thèse, je parcourus patiemment les dossiers de mes archives logicielles et papier, c’est un fichier réalisé avec Tinderbox qui me livra une part significative de cette mémoire élaborative. Le journal de thèse dans lequel je consignais pêle-mêle associations, souvenirs, réflexions ou références, comportait en effet des éléments précis — nommés, classés, datés, taggés — auxquels je pouvais me référer comme à des documents attestant mes orientations théoriques.
C’est ce travail d’archivage que facilite Tinderbox en proposant des fonctionnalités système aisément accessibles au moyen d’un navigateur d’attributs dont je ne connais actuellement aucun équivalent numérique. Comme en témoignent les captures d’écran suivantes, l’attribut système Created classe automatiquement chaque note créée en assignant à cette dernière une date qu’il est aussi possible de visualiser sur une ligne du temps.
En procédant de cette manière, qu’il s’agisse d’un journal de thèse ou des minutes constitutives de l’élaboration d’une écriture d’invention, une archive s’accumule, consultable sur simple requête, visualisable au choix, sous la forme d’une carte ou d’une liste.